Quelques témoignages sous forme de poésie.
Vous qui passez en pélerins près de leurs tombes
|
|
Gravissant leur calvaire et ses sanglants chemins
|
|
Ecoutez la clameur qui sort des hécatombes
|
|
Peuples, soyez unis ! hommes, soyez humains.
|
|
Inscription gravée dans la pierre à Notre Dame
de Lorette
|
Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle |
Mais pourvu que
ce fût dans une juste guerre |
Heureux ceux qui
sont morts pour quatre coins de terre |
Heureux ceux qui
sont morts d'une mort solennelle. |
|
|
|
|
|
|
Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles |
Couchés dessus le
sol à la face de Dieu |
|
Heureux ceux qui
sont morts sur un dernier haut lieu |
Parmi tout l'appareil
des grandes funérailles |
|
|
|
|
|
|
Heureux ceux qui sont morts pour des cités charnelles |
Car elles sont le
corps de la cité de Dieu |
|
Heureux ceux qui
sont morts pour leur âtre et leurs feu |
Et les pauvres honneurs
des maisons paternelles |
|
|
|
|
|
|
Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés |
Dans la première
argile et la première terre |
|
Heureux ceux qui
sont morts dans une juste guerre |
Heureux les épis
mûrs et les blés moissonnés |
|
|
|
|
|
Charles PEGUY
|
In Flanders fields the poppies blow
|
Dans les champs de Flandre, les coquelicots ondulent
|
Between the crosses, row on row
|
entre les croix rang après rang
|
That mark our place; and in the sky
|
qui marque notre place et dans le ciel
|
The Larks still bravely singing fly
|
Les alouettes bravement chantent encore et volent
|
Scarce heard amid the guns below
|
A peine audibles dans le bruit des canons
|
|
|
|
|
|
We are dead. Short days ago
|
Nous sommes les morts
|
We Lived, felt dawn, saw sunset glow
|
Il y a quelques jours, nous vivions encore
|
Loved and were Loved, and now we lie
|
Nous sentions la douceur de l'aube
|
In Flanders fields.
|
|
Nous regardions l'embrasement du soleil couchant
|
|
|
|
|
Nous aimions et nous étions aimés
|
Take up our quarrel with the foe;
|
Maintenant, nos corps sont étendus
|
To you from failing hands we throw
|
dans les champs de Flandres
|
The torch; be yours to hold it high
|
|
|
If ye break faith with us who it die
|
Poursuivez votre combat avec l'adversaire
|
We shall not sleep, though poppies grow
|
Nous vous lançons le flambeau de nos mains défaillantes
|
In Flanders fields
|
|
Afin qu'il soit vôtre et que vous le teniez haut
|
|
|
(Autre traduction)
|
Si vous manquez de parole à nous qui mourons
|
Dans les champs de Flandre,
|
Nous ne pourrons pas dormir bien que les coquelicats poussent
|
les coquelicots fleurissent,
|
Dans les champs de Flandre
|
entre les croix
|
|
|
|
|
rang par rang
|
|
Au champ d'honneur,
|
|
|
|
|
Les coquelicots, sont parsemés de lot en lot
|
|
|
|
|
Auprès des croix, et dans l'espace,
|
Si vous manquez de foi envers nous
|
les alouettes devenues lasses
|
qui mourrons
|
|
mêlent leurs chants au sifflement des obusiers...
|
nous ne dormirons pas
|
Nous sommes morts. Nous qui songions encore à nos parents, à nos amis.
|
tant que les coquelicots fleuriront
|
nous qui songions encore à nos parents, à nos amis.
|
dans les champs de Flandres
|
C'est nous qui reposons ici.
|
|
|
|
|
Au champ d'honneur
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
John Mc CRAE 02-03/05/1915
|
|
|
|
|
|
|
|
Nos rêves ont passé, nous avons retrouvé dans une marre rouge une tête
|
Quelques restes de membres au fond du trou d'obus
|
|
et des lambeaux sans nom, plaqués contre la boue
|
|
C'est tout ce qui restait de nos pauvres camarades
|
|
La violence de l'explosion les avaient enfoncés en pleine terre
|
Trois étaient ancrés presque complètement dans les parois de la fosse, tassés comme des chiffons
|
Je vois ce qui tout à l'heure étaient deux êtres vivants
|
|
et qui ne sont plus maintenant, qu'un amas de boue et de sang
|
On a rassemblé leurs restes à la hâte, au clair de lune, dans une toile
|
On a creusé un trou et, le soir, nous leur avons dit adieu
|
On en a tant vu, que les sens s'émoussent, que le cour se blase
|
L'inhumaine cuirasse nous protège de sentiments trop humains
|
et on y pense plus, une minute après
|
|
|
Et pourtant, nous avions tout partagé
|
|
|
marché ensemble, souffert aux mêmes endroits
|
|
étions enterré par la même mine, enlisés dans la même boue
|
Nous avions courbé la tête sous les mêmes rafales
|
|
On a la gorge serrée et comme une envie de pleurer
|
|
C'est fini
|
|
|
|
|
|
|
Ce soir, la loterie recommence,
|
|
|
|
Heureux ceux qui ramèneront les bons numéros
|
|
|
|
|
|
|
Romain DARCHY
|
Le pauvre gars que je portais, était plus grand que moi
|
|
sautant d'un trou d'obus dans un autre
|
|
|
Je sentait les craquements que faisaient ses os dans la chute
|
et il souffrait terriblement
|
|
|
|
Mais le mot d'ordre était :
|
|
|
|
Si tu cries, nous sommes foutus
|
|
|
|
Le pauvre mordait dans le col de ma capote, pour ne pas crier
|
Les bandes molletières, la chair, les os, ne font plus qu'une bouillie saignante
|
On lui cache, l'affreuse blessure
|
|
|
|
il est calme et parle d'une voix faible
|
|
|
Je suis salement arrangé
|
|
|
|
On lui fait boire un peu d'eau de vie
|
|
|
On lui passe une cigarette, dont il tire quelques bouffées
|
qu'il laisse glisser, indifférent
|
|
|
|
Le bombardement redouble, mais les poilus veulent rester là
|
Nous ne voulons pas laisser mourir un camarade tout seul
|
Il demeure étendu, contemplant avec stupeur ses membres broyés
|
les yeux grands ouverts sur l'infini glacé
|
|
|
C'est fini
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Jean Farré
|
|
|
|
|
|
|
René NAEGELEN
|
Ce matin, on a donné double ration d'eau de vie
|
|
Imagine ce que peut-être un assaut à l'arme blanche
|
|
Ces aciers fins et blancs au bout du fusil, tenus par nos mains crispées.
|
Ce combat, est ce qu'on peut demander de plus terrible à nos corps faibles, tremblants, mortels.
|
On respire un bon coup, avant de plonger
|
|
|
Avant le bon, dans l'inconnu
|
|
|
|
J'ai peur de l'inconnu
|
|
|
|
|
Peur de sortir, peur de me battre
|
|
|
|
Avec une sorte d'inquiétude animale, serrés les uns contre les autres
|
Tous se taisent,
|
|
|
|
|
Nous sommes, 50 empilés dans ce réduit, si serrés, que nous ne pouvons faire mouvement
|
Nos pieds enfoncés dans la terre se gèlent avec elle
|
|
Debout, j'ouvre les yeux.
|
|
|
|
La terrible réalité m'apparaît
|
|
|
|
Nous allons partir à la mort
|
|
|
|
Nous finissons par marcher dans un demi sommeil
|
|
Inconsciemment, sans ordre, sans voir et sans penser
|
|
Comme des bêtes
|
|
|
|
|
Dans cette atmosphère où l'on sent la mort insaisissable
|
On entend des cris des ordres, venus dont on ne sait où
|
Le signal de départ vient d'être donné
|
|
|
Les coups de fusils commencent à claquer
|
|
|
Et bientôt un barrage d'acier tombe sur nos os(ites)
|
|
Bientôt ce sont des cris, des hurlements d'horreur
|
|
Des hommes tombent, cassés en deux dans leur élan
|
|
Il faut franchir la plaine, balayée par les balles, les membres disloqués, la figure noire, horrible
|
Nous arrivons prés d'eux et un terrible corps à corps s'engage
|
Les fusils ne peuvent plus nous servir
|
|
|
et c'est à l'aide de nos pelles que nous frappons
|
|
On titube
|
|
|
|
|
|
|
On voit un tourbillonnement d'hommes, qu'on ne reconnaît pas, qu'on entend plus
|
Je saigne du nez et des oreilles
|
|
|
|
Je suis fou
|
|
|
|
|
|
Je ne voit même plus le danger
|
|
|
|
Je n'ai plus songé à rien
|
|
|
|
Mon rôle est fini
|
|
|
|
|
Un de mes camarde apparaît, bégayant, ahuri, presque fou.
|
Je me fais tout petit,
|
|
|
|
|
Je me vois les reins brisés, étouffant, creusant la terre de mes mains crispées
|
et là, tout près de moi, s'élève une monotone plainte d'enfant qui gémit et chantonne
|
J'ai mal. Maman. Maman. Mon Dieu je vais mourir
|
|
Que sont-ils devenus mes camarades ?
|
|
|
Sont-ils partis ?
|
|
|
|
|
Sont-ils morts ?
|
|
|
|
|
Suis-je le seul vivant dans mon trou ?
|
|
|
Devant, me défile la famille, qu'on à laissé au foyer, et que peut-être on ne verra plus
|
Chacun revoie les siens, son village endormi, les enfants, comme des fantômes
|
Sans savoir pourquoi, je revois des détails insignifiants
|
Puis c'est la vision soudaine, des êtres chers
|
|
Ma femme
|
|
|
|
|
|
Ma mère
|
|
|
|
|
|
|
Mon enfant
|
|
|
|
|
|
Mais je me dis que tous les rêves que nous avons fait ensemble ne se réaliseront jamais, jamais
|
Que je ne vous reverrai plus
|
|
|
|
et
l'angoisse , nous étreint profondément |
|
|
|
|
|
|
|
Louis CORTY
|
|
|
|
|
|
BELLICA
|
|
Lorsqu'au bout de huit jours, le repos terminé
|
Deux mois de tranchées, deux mois de souffrances
|
Nous allons reprendre les tranchées
|
Mais on garde l'espérance
|
Notre place est utile
|
|
|
Car peut-être ce soir la relève
|
Car sans nous, l'on prend la pile
|
|
Que nous attendions sans trêve
|
C'est bien fini, on en a assez
|
|
Bientôt dans la nuit, avec le silence
|
Personne ne veut plus marcher
|
|
On voit quelqu'un qui s'avance
|
Et le cour bien gros, presque dans un sanglot
|
C'est un officier de chasseur à pied
|
L'on dit adieu au cuistot
|
|
Qui vient pour vous remplacer
|
Même sans tambour, même sans trompette
|
Doucement, sous la pluie qui tombe
|
Hélas on part, en baissant la tête
|
|
Les petits chasseurs viennent checher leur tombe
|
|
|
|
|
|
|
|
Nous voilà partis, avec sac au dos
|
C'est malheureux de voir, sur les grands boulevards
|
Nous pouvons dire adieu au repos
|
Tant de bourgeois qui font la foire
|
Car pour nous, la vie est dure
|
|
Si pour eux la vie est rose
|
C'est terribel, je vous le jure
|
|
Pour nous ce n'est pas la même chose
|
A Craonne, là-haut, l'on va nous descendre
|
Au lieu de se cacher, tous ces embusqués
|
Sans même pouvoir se défendre
|
|
Feraient mieux de monter aux tranchées
|
Car si nous avons de très bons canons
|
Pour défendre leur bien, car nous n'avons rien
|
Les boches répondent à leur façon
|
Nous autres pauvres purotins
|
Forcés, obligés de nous terrer
|
|
Tous mes compagnons sont étendus là
|
Attendant l'obus qui viendra nous tuer
|
Pour défendre les biens de ces messieurs-là
|
|
|
|
|
|
|
|
1er couplet
|
|
|
|
2° couplet
|
|
Adieu la vie, adieu l'amour
|
|
Ceux qu'ont pognon, ceux-là reviendront
|
Adieu toutes les femmes
|
|
Car c'est pour eux que l'on crève
|
C'est pas fini, c'est pour toujours
|
|
C'est bien fini, car les trouffions
|
De cette guerre infâme
|
|
|
Vont tous se mettre en grève
|
C'est à Craonne, sur le plateau
|
|
C'est à votre tour, messieurs les gros
|
Qu'on y laissera sa peau
|
|
De monter sur le plateau
|
Car nous sommes tous des condamnés
|
Vous qui voulez tous la guerre
|
Nous sommes sacrifiés
|
|
Payez-la de votre peau
|
|
|
|
|
|
François COURT 10/04/1917
|
Les gaz
|
|
|
|
|
|
|
Le carnaval de mort se chante à grands éclats
|
|
Le carnaval lugubre à l'haleine empestée
|
|
|
Le carnaval de haine et de rage entêtées
|
|
|
Serpente au long des champs dans les Flandres, là-bas...
|
|
|
|
|
|
|
|
Les enfants du sol clair respirent sous leurs masques;
|
|
Les visages n'ont plus ni formes, ni ferveur;
|
|
|
D'atones verres blancs sans regard, sans ardeur,
|
|
Ouvrent des yeux de monstre à l'ombre de grands casques.
|
|
|
|
|
|
|
|
On fête la laideur d'un affreux cauchemar
|
|
|
Des spectres délirants et sans nez gesticulent
|
|
Une brume de Sabbat autour d'eux monte et fume
|
|
Des yeux ternes et blancs se recherchent hagards.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
C'est la folie éparse aux plaines de la Flandre
|
|
Une sinistre joie abrutit l'avant-soir
|
|
|
Des klaxons crécellent hurlent du désespoir
|
|
|
Et les hommes sont bruns et comme enduits de cendres
|
|
|
|
|
|
|
|
Les vapeurs de l'ivresse et les souffles du vent
|
|
Sur ce mardi-gras veule et ses sinistres masques
|
|
Sur ces groupes sans noms de groins noirs et de casques
|
Planent puis vont vers les lointains, étrangement.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Le carnaval des gaz se chante à grand vacarme
|
|
La mitrailleuse rit son fou, rire de mort
|
|
|
Les clairons dans les Flandres emmêlent leurs accords
|
Et les tocsins des tours propagent leur alarme
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Masque d'un soir de mai, fantôme sans élans
|
|
Quelle joie hystérique et quels spasmes de haines
|
|
Vous énervent ce soir dans les remous des plaines ?
|
|
Le diable s'est offert un carnaval sanglant.
|
|
|
|
|
|
|
|
Maurice GAUCHEZ, 10/1915
|
|
|
|
|
|
|
|
Tragique ballade des tranchées
|
C'est
l'heure indicible |
C'est sa dernière promenade
|
Où l'humaine cible
|
|
Adieu le pauvre camarade
|
Frissonne impassible
|
On emporte le pauvre copain
|
Au fond de son cour
|
|
Au cimetière du patelin
|
|
Et c'est l'heure obscure
|
On fait un discours sur sa tombe
|
Où sous son armure
|
|
De tous les yeux les larmes tombent
|
S'insinue, sûre
|
|
On fait serment de le venger
|
La Main de la Peur
|
|
C'est la ballade des massacrés
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
L'Étrange
état. On se cache pour dormir et
le sommeil est parfois un crime si grand que la mort seule peut l'expier. |
Ici, harassé, on dort un quart d'heure en fraude, comme à la ville, affamé, on vole un pain d'un
sous.
|
On dort debout, à genoux, assis, accroupi et même couché; on dort au hasard de l'aubaine, le jour
ou la nuit; à midi ou le soir;
|
on dort sur les chemins, dans les taillis, dans les tranchées, dans les arbres, dans la boue;
|
on dort d'un sommeil haché dont le dormeur paraît s'excuser par une attitude craintive; on dort
instantanément, automatiquement aussitôt allongé,
|
parce
qu'il est exceptionnel qu'on ait le droit ou l'occasion de dormir |
|
|
|
|
|
André FRIBOURG - Croire
|
|